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Covid-19, « Une deuxième vague identique à la première, voire plus désastreuse, est probablement à écarter »

Le doyen de la faculté de Médecine de Sorbonne Université, Bruno Riou, est depuis mars dernier le directeur médical de crise de l’AP-HP.
En première ligne du combat hospitalier mené contre la pandémie de coronavirus, il s’exprime sur la potentielle seconde vague de la pandémie et revient sur l’emballement médiatique auquel nous assistons en ce moment. 

 

Comment voyez-vous les prochaines semaines, les prochains mois ? Le risque de seconde vague est-il réel et sérieux ? 

Bruno Riou : Plusieurs problèmes se posent dans cette période intermédiaire qui n’est pas encore la sortie de crise. Le premier, c’est bien sûr la possible remontée du nombre de contaminations avec l’arrêt du confinement. L’hypothèse d’une deuxième vague identique à la première, voire plus désastreuse du fait que nos réanimations sont encore pleines de malades Covid-19, est probablement à écarter. De nombreuses mesures accompagnent le déconfinement qui n’est que partiel (gestes barrières, port de masques, distanciation sociale), la situation n’a donc rien à voir avec celle qui prévalait au début de cette épidémie.

Malheureusement, une remontée plus ou moins lente du nombre de cas n’est pas non plus à exclure. Elle aurait des conséquences délétères sur le plan individuel pour les cas les plus graves, mais aussi sur notre société car les mesures qui ont été imposées sont difficilement tenables humainement, socialement et économiquement.

C’est la raison pour laquelle des dispositifs particuliers ont été mis en place pour casser les chaînes de transmission et mieux agir sur l’épidémie que nous n’avions été en mesure de le faire au départ. L’AP-HP, sous l’impulsion du Professeur Renaud Piarroux (Sorbonne Université), a mis en place très précocement un dispositif d’accompagnement des patients Covid-19 (COVISAN) en recherchant activement les personnes avec lesquelles ils avaient été en contact, en leur proposant de les accompagner chez eux ou parfois de les isoler, par exemple dans un hôtel. Ce dispositif a inspiré le plan de déconfinement gouvernemental.

 

Que pensez-vous du plan de déconfinement gouvernemental ?

B. R. : L’articulation des dispositifs pionniers COVISAN avec le dispositif gouvernemental pilotée par la Caisse nationale d’assurance maladie reste complexe à mettre en œuvre. Et je ne pense pas qu’il faille se limiter à un accompagnement téléphonique ni aux seuls patients diagnostiqués par test de dépistage PCR avec prélèvement biologique, dont on sait qu’ils sont associés à un taux de faux négatifs de l’ordre de 30%.

Il faut faire de la médecine. Un diagnostic clinique ou radiologique est au moins aussi important. La surveillance de l’épidémie dans les prochaines semaines est essentielle pour décider de nouvelles contraintes ou au contraire alléger celles qui sont prises. Dans ce cadre, il ne faut pas se contenter de signaux tardifs comme les admissions en réanimation ou les décès, mais intégrer des indices plus précoces comme le fait aujourd’hui quotidiennement l’AP-HP.

Le deuxième problème, c’est de faire face aux difficultés de fonctionnement d’un hôpital où de très nombreux patients Covid-19 sont encore présents, notamment en réanimation. Ces personnes qui sortent de réanimation vont avoir besoin de soins de suite et de réadaptation et les services qui les assurent vont se retrouver à leur tour débordés. Les personnels soignants sont épuisés après une mobilisation sans précédent qui a duré de nombreuses semaines et se compte maintenant en mois. Comment allons-nous faire face à la période estivale et aux congés qui vont devoir être pris ? C’est une question majeure qui se pose à nous, alors que les renforts diminuent.

Le troisième problème, et ce n’est pas le moindre, c’est la reprise d’activité, en particulier les urgences relatives qui avaient été déprogrammées et qui deviennent maintenant des urgences absolues. Ce sont aussi tous les patients atteints de maladie chronique qui ont déserté les soins pendant cette période et ceux qui n’ont pas consulté à temps pour de nouveaux problèmes de santé.

 

La crise est donc loin d’être terminée…

B. R. : Tout ceci permet, en effet, de mieux comprendre pourquoi la crise est loin d’être finie, quand bien même le virus nous laisserait un répit. Il est malheureusement encore un peu tôt pour que j’arrête ma fonction de Directeur médical de crise AP-HP et que je demande à l’ensemble de mes collègues qui ont été désignés directeur médical de crise de groupe hospitalier ou de site de faire de même. Pourtant, nous y aspirons tous car cela signifiera que la crise est effectivement derrière nous.

 

Cette crise a aussi été marquée par un emballement médiatique sans précédent. Quel regard portez-vous sur la place de la parole des médecins dans les médias ?  

B. R. : Chaque crise sature les médias, pour le meilleur et pour le pire, et la crise sanitaire actuelle n’y échappe pas. Le dilemme pour les médecins, les universitaires, les chercheurs et les chercheuses, c’est d’accepter les innombrables sollicitations des médias ou de laisser se développer sans limite la parole de pseudo-experts. S’exprimer dans les médias suppose de rester dans son domaine de compétence, d’éviter les polémiques inutiles, mais aussi de combattre les fake news qui abondent et de lutter contre la pseudo-science ou la mauvaise science. Bref de s’exprimer bien, de s’exprimer peu, et de s’exprimer à bon escient.

C’est un art difficile auquel nous n’avons pas été formés et certains d’entre nous sont plus naturellement doués que d’autres. Des erreurs dans la communication peuvent avoir des effets dévastateurs, y compris sur le plan personnel en raison de la violence des réseaux sociaux.

 

Faut-il pour autant éviter les médias ?

B. R. : Dans la société actuelle, en particulier au cœur d’une crise majeure, il n’est pas possible ni raisonnable d’éviter les médias. Il n’est pas non plus raisonnable de courir les plateaux télés jusqu’à en oublier l’un des principe déontologique du médecin : le « tact et la mesure ».

L’information scientifique du public est un point majeur et il faut reconnaître ici le formidable outil pédagogique que constituent les médias. Le niveau de connaissance des Françaises et des Français sur la pandémie Covid-19 est sans commune mesure avec celui qu’ils avaient en 1969 sur la grippe de Hong Kong. Une épidémie totalement disparue des mémoires et qui a eu pourtant un impact de mortalité également important.

Toutefois, le socle de connaissances nécessaires à la compréhension critique des informations prodiguées par les médias s’acquière d’abord à l’école et il faut certainement renforcer cette approche.

La faculté de Médecine s’est surtout positionnée dans les médias avec la parole de ses expertes et experts hospitalo-universitaires et de ses chercheuses et chercheurs qui ont été très nombreux à s’impliquer dans cette pandémie. J’avoue être fier et satisfait de leurs interventions dont certaines ont été remarquables. Leur travail de fond, dans les soins et la recherche, a eu une influence parfois déterminante dans cette crise que nous vivons.

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