Tribune publiée par le journal Le Monde, lundi 07 décembre 2020
Il faudra du temps pour arriver à un contrôle de l’épidémie alors que les conditions environnementales de propagation du virus persistent, expliquent l’épidémiologiste et le directeur du centre de crise de l’Assistance publique, dans une tribune au « Monde ».
Après une première vague de Covid-19 au printemps, très déstabilisatrice pour notre système de santé, et aux conséquences économiques, sociales et humaines considérables, nous venons de passer le pic d’une deuxième vague, plus complexe à gérer en raison des retards dans la prise en charge des patients non atteints du Covid, et plus étendue dans le pays. Au cours de ces deux périodes, nous avons frôlé dangereusement le débordement capacitaire de nos hôpitaux et services de réanimation, tandis que les conséquences sanitaires à moyen et long termes commencent seulement à être analysées et sont particulièrement inquiétantes. Alors même que la vaccination est devenue une réalité proche, le risque existe toujours de devoir affronter une troisième vague dans les mois qui viennent.
Plusieurs éléments se conjuguent pour expliquer cet apparent paradoxe. Premièrement, les conditions environnementales de propagation du virus persistent et vont même s’aggraver : l’hiver, saison idéale pour la propagation d’une virose à transmission respiratoire n’a pas encore commencé, le confinement nécessaire a été abrégé pour des raisons économiques et sociétales, et les fêtes de fin d’année font craindre que des contaminations importantes intrafamiliales aient lieu, comme ce fut le cas lors des fêtes de Thanksgiving au Canada.
Difficulté de tester-tracer-isoler
Notre capacité collective à respecter la distanciation et les gestes barrières, y compris dans des réunions familiales (gel hydroalcoolique, port du masque, aération, limitation du nombre) sera déterminante. Deuxièmement, le tester-tracer-isoler que nous avions prôné dans Le Monde dès le 27 avril n’a pas été suffisamment développé : nous avons mal testé (les tests ont été nombreux, mais mal ciblés et trop tardifs), peu ou mal tracé (en ne tenant pas compte des résultats d’un système dont l’insuffisance était patente dès le mois d’août), et pratiquement pas isolé.
Au moins, nous saurons annoncer la troisième vague à temps car nous disposons de tous les indicateurs nécessaires pour le faire ( « Early indicators of intensive care unit bed requirement during the COVID-19 epidemic : A retrospective study in Ile-de-France », par Bruno Riou, PLOS One, Public Library of Science).
Encore faudra-t-il être entendu par les instances politiques et la société pour qu’elles acceptent de confiner suffisamment tôt, un confinement pouvant être plus court et rester néanmoins efficace s’il intervient précocement.
Il est cruel de rappeler que le conseil scientifique appelait, dès le 9 septembre, à prendre des mesures courageuses, qui n’ont été prises finalement que le 22 octobre (le couvre-feu) et le 30 octobre (le confinement).
Il n’est pas trop tard pour revoir le tester-tracer-isoler et éviter ainsi de reconfiner, et nous n’avons guère de modifications à apporter à notre tribune du 27 avril sur ce sujet, sinon insister sur l’importance de l’isolement et redire avec force qu’il s’agit d’aider le patient à protéger ses proches (par des équipes physiquement présentes et pas seulement par un appel téléphonique), dans le cadre d’une relation de confiance qui explique, facilite, apporte de l’aide, s’efforce de convaincre, mais se refuse à contraindre. Et c’est au moment du déconfinement et du recul de l’épidémie que le tester-tracer-isoler peut avoir un rôle déterminant.
Vacciner d’abord les plus fragiles
Face à ce coronavirus particulièrement apte à se propager partout dans le monde, la vaccination est probablement notre principal espoir de voir s’éteindre l’épidémie, ou tout du moins d’en prendre le contrôle sans avoir à prendre des mesures dévastatrices pour notre vie sociale. Malheureusement, pour pouvoir prétendre à un contrôle de l’épidémie, une proportion importante (près de 60 %) de la population doit être immunisée naturellement ou à l’aide de vaccins, un objectif qui ne sera atteint qu’après de nombreux mois.
« Nous n’avons que deux armes efficaces à notre disposition pour les mois à venir : le confinement, qui a fait la preuve de son efficacité, et le tester-tracer-isoler »
Comme, au moins dans les premiers temps, le vaccin devrait être réservé aux patients les plus fragiles, le nombre de patients non vaccinés et nécessitant une admission en réanimation risque encore de dépasser nos capacités si l’épidémie repart à la hausse. Nous n’avons que deux armes efficaces à notre disposition pour les mois qui viennent : le confinement, qui a fait la preuve de son efficacité partout dans le monde, et le tester-tracer-isoler, qui a montré son efficacité ailleurs, mais que nous n’avons pas su ou pu appliquer jusqu’ici de manière satisfaisante.
Combien faudra-t-il de rebonds épidémiques pour que nous retenions les leçons des vagues précédentes, des expériences internationales relatives au Covid, et de l’histoire des épidémies passées ? Plus loin dans le futur, l’enjeu sera de convaincre suffisamment de personnes de se faire vacciner.
L’histoire de l’humanité a montré que la vaccination et l’hygiène restent les interventions sanitaires qui ont sauvé le plus de vies dans le passé, et qu’elles risquent de le rester pour longtemps.
Renaud Piarroux est professeur de médecine, épidémiologiste, à la cellule de crise de l’AP-HP, Sorbonne Université
Bruno Riou est professeur de médecine, directeur médical de crise de l’AP-HP, doyen de la faculté de médecine Sorbonne Université