Le doyen de la faculté de Médecine de Sorbonne Université, Bruno Riou, est depuis mars dernier le directeur médical de crise de l’AP-HP.
En première ligne du combat hospitalier mené contre la pandémie de coronavirus, il revient sur les semaines de lutte qu’il a vécues et la mobilisation de la communauté étudiante en santé.
Alors que nous sortons progressivement des mesures de confinement prises à la mi-mars, quelle est la situation actuelle sur le front hospitalier ?
Bruno Riou : Tous les jours, le nombre de personnes hospitalisées, notamment en réanimation, baisse. Les nouveaux patients et patientes diagnostiqués sont de moins en moins nombreux et il est devenu courant que des services d’urgence ne voient plus aucun nouveau cas Covid-19 pendant 24 heures. Les appels au SAMU sont revenus à la situation antérieure. Mais avec de nombreux malades encore hospitalisés, certains en réanimation depuis plusieurs semaines, le nombre de décès augmente très régulièrement, même si le rythme décélère également.
L’épidémie est donc en forte décroissance dans les deux régions qui ont été les plus touchées, le Grand Est et l’Île-de-France, mais aussi dans toutes les autres régions françaises. En l’absence de traitement spécifique et de vaccination, ce sont l’ensemble des mesures prises (confinement, gestes barrières, distanciation sociale, port de masque, isolement des malades) qui ont permis cette décroissance de l’épidémie. Toutefois le virus circule encore et de nouveaux cas, parfois des clusters, apparaissent toujours. La situation s’est considérablement améliorée, mais l’épidémie n’est pas terminée, pas plus que la pandémie dans les autres pays.
Au plus fort de la crise, à quoi les choses se sont-elles jouées ? La situation aurait-elle pu basculer ?
B. R. : En Île-de-France, le nombre de lits de réanimation est passé ces derniers mois de 1 189 à 2 945 (+248%) grâce à une mobilisation de l’ensemble du système de santé et de l’ensemble du personnel soignant.
Mais nous avons effectivement frôlé l’insupportable. Nous avons pu offrir la réanimation à tous ceux qui en avaient besoin, sans modifier les critères d’accès qui étaient les nôtres avant la crise, grâce à cette mobilisation extraordinaire, mais aussi à deux éléments extérieurs qui ont joué un rôle crucial à l’acmé de la crise. D’une part, les renforts de personnels médicaux et paramédicaux venant des autres régions. D’autre part, le transfert de plus de 200 patients de réanimation vers d’autres régions par différents moyens (hélicoptères, avions, trains). Le recours aux TGV, qui avait été initié dans le Grand Est, constituent une première internationale permettant des transferts massifs (une rame de TGV = 24 patients) dans de bonnes conditions de sécurité et sur de grandes distances. L’idée avait été testée par un exercice grandeur réelle après les attentats terroristes du 13 novembre 2015, résultant d’une collaboration exemplaire entre les SAMU et la SNCF.
Qu’est-ce qui fait la spécificité de ce virus contre lequel vous combattez au quotidien ?
B. R. : Ce virus, assez contagieux, n’est pas d’une très grande dangerosité avec une mortalité probablement comprise entre 0,5 et 1%. Une mortalité très éloignée de celle d’Ebola (plus de 50%) ou même de celle du SRAS (environ 13 %) ou du MERS-CoV (environ 35%), tous les deux des coronavirus bien connus. Toutefois, ce chiffre de mortalité globale du Covid-19 pour une population ne dit rien du risque individuel, quasi nul chez les enfants et très élevé pour les patients les plus âgés ayant des comorbidités.
Pour reprendre une comparaison fréquente, la mortalité est dix fois plus élevée que l’épidémie classique de grippe (environ 0,1%). Le problème est que ce coronavirus rencontre une population qui n’a encore jamais été touchée, contraitrement à la grippe, et que nous ne disposons pas encore de vaccin. En conséquence, si la moitié des Françaises et des Français était contaminée (hypothèse de la fameuse « immunité collective »), 1% de mortalité correspondrait à un bilan effroyable, de l’ordre de 300 000 morts. Comme environ 5% des patients Covid-19 ont besoin de réanimation, nos services seraient totalement dépassés. Or la réanimation sauve environ 60-65% des malades les plus graves, ce qui est considérable. Ne pas être en mesure de recourir à la réanimation, c’est consentir à une surmortalité.
La communauté étudiante de médecine et des écoles paramédicales a été particulièrement associée à cette lutte. Dans quelle mesure leur mobilisation a-t-elle aidée ?
B. R. : La mobilisation des étudiantes et étudiants en santé a été incroyable et essentielle. Près de 4 500 d’entre eux ont été recrutés en renfort sur des postes d’aide-infirmiers ou d’aide-soignants, bénéficiant d’une courte formation sur le campus Picpus de l’AP-HP.
Très tôt, ils ont été mobilisés pour renforcer les SAMU-Centre 15 au moment où ceux-ci devaient faire face à une augmentation considérable des appels. D’autres ont été recrutés sur la plateforme de télémédecine Covidom pour suivre plus de 50 000 patients à domicile.
Toute la communauté étudiante en santé a été concernée : médecine, odontologie, pharmacie ainsi que toutes les filières paramédicales. Celles et ceux qui avaient un diplôme d’infirmier ont repris leur ancien métier. Plus récemment, des étudiantes et étudiants en santé ont été intégrés aux équipes COVISAN qui se rendent à domicile, à la recherche des contacts des patients Covid-19. Des étudiantes et étudiants des autres facultés sont venus en renfort pour aider les équipes de recherche universitaire sur le Covid-19 ou participer au travail de recherche clinique dans le cadre des nombreuses études initiées. Sans cet effort extraordinaire, rien n’aurait été pareil et il faut les en remercier très chaleureusement. Leur mobilisation a été à la hauteur de leur vocation.
Leur mobilisation sera-t-elle reconnue dans le cadre de leur formation ?
B. R. : En tant que président de la Conférence des doyens de santé d’Île-de-France, je me suis efforcé d’appliquer plusieurs principes : reconnaître que leur action au cœur de la crise et auprès des patients Covid-19 a participé à leur formation de soignant ; faire en sorte qu’aucun étudiant ou étudiante ne pâtisse des difficultés liées à cette crise ; enfin tout mettre en œuvre pour faciliter leur diplomation ou le passage dans l’année supérieure de leurs études en santé en adaptant la pédagogie aux circonstances. Le corps enseignant a su se mobiliser et déployer une importante capacité d’innovation. Ainsi les étudiantes et étudiants en médecine de dernière année, qui vont devoir passer l’examen classant national (ECN) déterminant pour leurs futures spécialité et région d’exercice, ont pu continuer à assister aux révisions organisées par la faculté de Médecine sous forme de vidéoconférences regroupant plusieurs centaines d’entre eux.